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L’idéal de beauté masculin est imperméable aux modes. Si le nu est féminin est omniprésent dans l’art jusqu’à saturer notre imaginaire, le nu masculin reste timide tout en étant un canon immuable dans l’art. Parce que le corps de l’homme est un support de représentation symbolique, osons le nu masculin dans l’art, au fil du temps ; osons autant le nude (nu) que le naked (déshabillé) en anglais.

15 Dec

Johann Zoffany - la tribune des offices

Publié par Romain  - Catégories :  #18ème

Johann Zoffany - la tribune des offices

D’origine allemande, Johann Zoffany, né en 1733, se forme à Ratisbonne puis il voyage à Rome.

En 1761, il s’installe à Londres et commence par réaliser des portraits, en particulier des portraits d’acteurs. C’est le début d’une série de tableau inspirée du théâtre.

En 1765, Zoffany bénéficie des faveurs du roi George III et représente la famille royale plusieurs fois.

Zoffany devient membre de la Royal Academy récemment fondée dont il devient l’un des premiers membres de ce corps.

En 1773, il est à Florence où il réalise la toile commandée par la reine Charlotte La tribune des Offices.

Vers 1783, il voyage en Inde, visite les principales villes de l’intérieur. Il produit une composition étonnante avec des chevaux, des éléphants et plus cent personnages : L’entrée à Patina de l’ambassadeur du vizir d’Oude, une Chasse au tigre, un Combat de coqs. Ses tableaux séduisent les princes de l’Inde qui le rémunèrent avantageusement.

Il revient à Londres avec une fortune considérable en 1796. Il meurt en 1810 à Kew dans la banlieue de Londres où il s’est retiré.

 

Le tableau

Il représente la face nord-est d’une pièce octogonale, appelée, la Tribune des Offices du palais des Offices de Florence.

Dans ce lieu, au XVIIIe, étaient exposées la collection d’œuvres appartenant aux Médicis, ainsi que les plus importantes sculptures antiques, les médailles et les tableaux contemporains de la Renaissance.

Cette Tribune a été dessinée par Bernardo Buontalenti pour François 1erde Médicis.

En 1737, la grande duchesse Anna Maria de Médicis céda la collection au gouvernement toscan.

Le palais des Offices devint le plus important point de passage du Grand Tour des Anglais visitant Florence.

Zoffany modula l’exposition à son goût en ajoutant la Madonna della seggiola de Raphaël et la Vénus d’Urbin du Titien.

Il représenta en particulier les œuvres antiques, celles de l’école bolonaise de la Renaissance et celles de Rubens.

Toutes les œuvres de la pièce sont reconnaissables ainsi que les personnages qui admirent les tableaux. Ce sont les diplomates et visiteurs de Florence de l’époque du « Grand Tour ».

Lord Winchilsea, qui assiste Zoffany commente à la reine le 2 janvier 1773 : « Vraiment une des entreprises les plus laborieuses que j’ai jamais vues. Car il ne copie pas seulement un grand nombre d’images et de statues et la salle, etc. ce qui est beaucoup à faire, mais même les cadres et chaque chose la plus minutieuse possible les petits bronzes, la table etc. pour en faire une représentation complète et exacte de la salle ».

Zoffany acheva son tableau en 1777 et le rapporta à Londres en 1778.

Le tableau est suspendu brièvement au palais de Kew. En 1819, le tableau est enregistré avec les Académiciens à la bibliothèque supérieure de Buckingham House.

Johann Zoffany - la tribune des offices

Composition

Ce qui est remarquable dans cette composition c’est le parti-pris du peintre pour son cadrage.

Pour composer son tableau Zoffany a ajusté la perspective de l’intérieur de la pièce octogonale.

Le point de vue de Zoffany se situe légèrement derrière le centre de la pièce.

L’octogone central du motif du plancher apparaît au premier plan.

Son champ comprend un peu moins de trois des huit sections de l’octogone, soit un angle d’environ 90 degrés.

Si Zoffany avait respecté les règles de la perspective, seuls deux des quatre groupes de sculptures principaux placés devant chaque mur alternatif seraient visibles au lieu des quatre représentés.

Les objets et les personnages de la pièce, notamment au premier plan, devraient paraître beaucoup plus grands qu’ils ne sont peints.

Ces accrocs à la perspective linéaire étaient nécessaires pour pouvoir intégrer autant d’objets et de groupes de personnages de façon intelligible.

 Sa « fausse » perspective, traite le spectacle au sol.

Zoffany s’est inspiré des peintures encyclopédiques de Giovanni Paolo Panini (1692-1765), comme sa Rome moderne-1757 où la brillance, la couleur et la lumière, supplées aux règles de la perspective.

Zoffany reprend dans son tableau, l’éclat et l’idée que les espaces entre les objets attirent autant l’attention que les objets en eux-mêmes.

Son tableau représente un monde où aucune sculpture, aucun tableau, aucun personnage, n’est plus en valeur qu’un autre.

Cette irréalité transforme le tableau en coffret à bijoux que le regardant doit explorer pour dénicher tous ses trésors.

Les ombres nous indiquent que la lumière entre dans le tableau par le haut droit. Ce qui est cohérent par rapport à la situation de la pièce dans le palais.

En atelier, la lumière serait inversée, entrant par la gauche du tableau -pour éviter que la main du peintre ne fasse de l’ombre sur le tableau.

Ici la lumière entrant par les fenêtres hautes met en valeur les deux Vénus.

La ligne d’horizon se situe à hauteur de regard des personnages.

Le regardant est donc debout, la table octogonale située derrière la Vénus du Titien repousse le premier plan et situe le regardant au bord du tableau, à côté de la sculpture d’homme accroupi : le Peintre de Baltimore.

Cette position donne de l’importance aux tableaux latéraux comme la Madonna della seggiola de Raphaël.

Johann Zoffany - la tribune des offices

Liste des peintures murales

En partant de la gauche du tableau, de la rangée du haut, de gauche à droite et de haut en bas :

Mur gauche :

Annibale Carracci, Vénus avec un satyre et des amours (Uffizi, Florence)

Guido Reni, Charité (Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence)

Raphael, Madonna della seggiola (Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence)

Le Corrège, Vierge à l’Enfant (Uffizi, Florence)

Justus Sustermans, Portrait de Galileo Galilei (Uffizi, Florence)

Tableau illisible (à gauche de la statue de Cupidon et Psyché).

Mur central :

Atelier du Titien, Vierge et l’Enfant avec Sainte Catherine (Uffizi, Florence)

Raphael et son atelier, St Jean Baptiste (Uffizi, Florence)

Guido Reni, Madonna (collection privée)

Raphael, Madonna del Cardellino (Uffizi, Florence)

Rubens, Les conséquences de la guerre (Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence)

Franciabigio (anciennement attribué à Raphaël), Madonna del Pozzo (Uffizi, Florence)

Peinture méconnaissable (entre les jambes du satyre)

Hans Holbein, Portrait de Sir Richard Southwell (Uffizi, Florence)

Raphaël, Portrait de Perugino (Uffizi, Florence)

L’atelier du Pérugin (Niccolò Soggi ?), Madonna avec enfant, Saint Elizabeth et Saint John (Uffizi, Florence, toujours à la Tribuna).

Mur droit :

Guido Reni, Cléopâtre (Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence)

Rubens, Quatre philosophes (Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence)

Raphaël, Le pape Léon X avec les cardinaux Giulio de ‘Medici et Luigi de’ Rossi (Uffizi, Florence)

Pietro da Cortona, Abraham et Hagarìì (Kunsthistorisches Museum, Vienne)

Bartolomeo Manfredi, Hommage à César (Uffizi, Florence)

Cristofano Allori, Hospitalité de Saint Julian (Galerie Palatine, Palais Pitti, Florence)

Peinture méconnaissable (droit des lutteurs)

Peinture méconnaissable (Charité ?)

Peinture méconnaissable (derrière la Vénus)

Peinture méconnaissable (un cadre doré derrière l’homme en rouge à l’extrême droite).

Partie inférieure :

Raphael, Madonna Niccolini–Cowper (Galerie nationale d’art, Washington).

Ce tableau appartenait à Zoffany, cela explique son importance.

L’atelier de Guercino, Samian Sibyl (Uffizi, Florence)

Titien, Vénus d’Urbino (Uffizi, Florence).

Liste des sculptures centrales

En partant de la gauche du tableau :

Art romain antique, Cupidon et Psyché (Uffizi, Florence)

Art romain antique, Faune dansant (Uffizi, Florence, toujours à la Tribune)

Jacopo Antelli (Monicca) et Jacopo Ligozzi, table octogonale avec mosaïques de pierre dure (Uffizi, Florence, toujours à La la Tribune)

Art antique romain, Bébé Hercule étranglant deux serpents(Uffizi, Florence, toujours à la Tribune)

Art romain antique, Les deux lutteurs (Uffizi, Florence, toujours à la Tribune)

Cleomenes, Vénus de Médicis (Uffizi, Florence, toujours à la Tribuna)

 

Analyse

I – Le Grand Tour

Le grand Tour était à l’origine un long voyage à travers l’Europe et jusqu’en Italie, que les jeunes hommes aristocrates (surtout britanniques) entreprenaient aux XVIIe et XVIIIe.

Il s’agissait d’un rite initiatique permettant d’acquérir un savoir culturel et historique, de découvrir des langues étrangères et de nouer des relations.

Les jeunes gens en profitaient pour goûter aux plaisirs de la vie et, particulièrement au XVIIIe, pour acquérir des pièces d’antiquité classiques.

Ce périple qui durait généralement d’un à cinq ans, sous la surveillance d’un chaperon, était également entrepris par les savants, les écrivains et les artistes.

Rome était la destination ultime, avec ses sites chargés d’histoire et sa cité du Vatican renfermant la plus belle collection européenne d’antiquités classiques.

Florence avait la préférence des touristes du Grand Tour, tout comme Venise et Naples. Cette dernière devint particulièrement prisée après la découverte d’Herculanum et de Pompéi, au milieu du XVIIIe.

II – La conception du tableau et son incidence.

 A/ Zoffany a « adapté » sa perspective pour donner une visibilité à tous les objets et les personnages représentés.

Lorsque le peintre peint en perspective, plus les objets sont éloignés dans l’espace plus ils semblent petits.

Ce n’est pas le cas dans ce tableau.

Ici les règles de la perspective linéaire ne sont pas respectées et pourtant l’illusion optique de l’espace et du volume est ressentie par le regardant.

Le regardant identifie tous les tableaux qui sont visibles.

Zoffany imite leurs styles et dispose les tableaux de façon à établir un dialogue entre eux.

La grande tradition de la peinture est dominée par Raphaël, sa figure de saint Jean Baptiste « pointant vers le haut » comme pour suggérer une source d’inspiration céleste.

La même tradition est maintenue à travers l’école bolognaise d’Anibal Carrache et Guido Reni et quelques artistes flamands tels que Rubens.

Les restes étrusques soulignent l’importance de la Toscane.

Le portrait de Holbein tente d’incorporer l’Angleterre dans l’histoire.

Zoffany invite le regardant à comparer peintures et sculptures, anciennes et modernes, l’ancienne Vénus sculptée Médicis et la Vénus moderne peinte d’Urbino.

Zoffany réussit magistralement dans ce tableau à articuler l’espace composé de la collection avec l’espace géographique de la Tribune.

Cet effet n’a pas été universellement apprécié.

Lorsque La tribune des Offices a été exposée à la Royal Academy en 1780, le Morning Post a critiqué : « son manque de garder », c’est-à-dire son harmonie de couleurs ; le Morning Chronicle a écrit : « cette image précise a le même effet sur le spectateur que la galerie a elle-même lors de sa première entrée ; la multitude d’excellence qui y sont contenues dissipe nos idées, et il nous faut un peu de temps pour les arranger avant que nous puissions examiner froidement le mérite de chaque pièce ».

B/ Le tableau et sa perspective ont le potentiel de provoquer d’innombrables conversations.

Zoffany s’applique à reproduire avec précision les tableaux des grands maîtres et préfère suggérer une multitude d’idées plutôt que de peindre un programme cohérent.

Zoffany accentue la forme orthogonale directrice de la pièce en faisant une rotation de polygones emboités.

Le peintre empile les cadres : à l’intérieur du cadre rectangulaire du tableau il place obliquement un deuxième cadre, celui de la peinture principale, la Vénus d’Urbino de Titien.

Le Titien a figuré sa Vénus dans un cadre intérieur oblique, formé par la ligne du coussin et du drap. Ce troisième cadre est relié au cadre extérieur du tableau par l’oblique qui le traverse et passe par les cymbales du Faune dansant -sculpture antique romaine.

Le peintre établit un lien secret entre les peintures et les sculptures, entre l’époque moderne et l’Antiquité, entre l’Amour et la Musique.

La gestuelle des Vénus, celle du tableau et celle de la sculpture antique des Médicis, propose une seconde correspondance, les deux Vénus ont le bras droit replié et le bras gauche étendu. Cependant elles tournent leurs têtes dans des directions opposées, l’une est couchée, l’autre, debout.

Zoffany en faisant dialoguer le tableau et la sculpture, crée un effet de rotation.

Dans La tribune des Offices, le chevalet, la palette, le couteau, les pinceaux à la marge droite du tableau et le marteau, la pince et la pile de clous au centre, évoquent le travail de l’art.

C/ Dès le XVIIIe le tableau est interprété comme une image de l’art dans l’art.

Zoffany a représenté les chefs d’œuvres des grands maîtres.

Les objets, comme la table octogonale faite de pierres incrustées sont représentés avec soin et mettent en valeur l’art florentin.

Zoffany n’oublie pas l’indienne négligemment posée sur la table. Cette cotonnade peinte et imprimée en Inde faisait fureur en Europe au XVIIe et XVIIIe. Son décor de botanique ornementée dans une palette de couleurs riches et brillantes et la légèreté de l’étoffe séduisaient les aristocrates.

Zoffany harmonise la cohabitation des œuvres avec la mise en perspective des tableaux vus de biais et les différences de rendus entre eux.

 Pour les sculptures, depuis l’époque hellénistique et romaine, les œuvres célèbres existaient en multiples répliques. Les sculptures de la Tribune furent particulièrement reproduites.

La plus appréciée, en dehors de la Vénus des Médicis, fut le Faune dansant. Montesquieu en parle et cette statue avait une signification accrue du fait que l’on pensait que Michel-Ange avait restauré la tête et les bras. On retrouve ce petit Faune dansant dans les collections de toute l’Europe, à Florence, dans le Kent, en Ile de France, à Leipzig.

Les sculptures évoquent d’abord le voyage en Italie, puis deviennent un objet de famille.

Le catalogue de l’Académie royale de 1780 décrit l’œuvre comme « salle dans une galerie de Florence, appelée la Tribune, dans laquelle la partie principale est calculée pour montrer les différents styles des différents maîtres ».

Depuis deux siècles La tribune des Offices est suspendue près des Académiciens (collection royale). Ces deux tableaux ont été conçus à l’origine comme une paire.

Ils font un contraste efficace entre créer et apprécier l’art.

Les Académiciens avec le caractère sombre et finement peint d’un travail en cours, La tribune des Offices avec la finition la plus haute et la plus précieuse.

Johann Zoffany - la tribune des offices

Conclusion

Zoffany peint des tableaux qui correspondent aux goûts de son époque.

La redécouverte des cités antiques d’Herculanum et de Pompéi bouleversa le regard des européens sur le passé et provoqua un profond regain d’intérêt pour l’art classique.

Les adeptes du Grand Tour aimaient à rapporter chez eux, en guise de souvenirs, les vases grecs et les sculptures romaines.

Zoffany sait dessiner. Son chromatisme est raffiné.

Pour pallier ses entorses aux règles de la perspective, il manipule avec habilité, couleurs et lumière.

Zoffany a une ligne de conduite dans toutes ses représentations :

L’important est dans le plaisir de voir, pas dans le vrai.

Le peintre implique le spectateur, l’oblige à cohabiter avec l’œuvre.

Zoffany construit un dialogue entre le regardant et ses tableaux.

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À propos

L’idéal de beauté masculin est imperméable aux modes. Si le nu est féminin est omniprésent dans l’art jusqu’à saturer notre imaginaire, le nu masculin reste timide tout en étant un canon immuable dans l’art. Parce que le corps de l’homme est un support de représentation symbolique, osons le nu masculin dans l’art, au fil du temps ; osons autant le nude (nu) que le naked (déshabillé) en anglais.