Eugène Delacroix
Chef de file du romantisme français, Eugène Delacroix (1798–1863) est l’un des premiers (après Théodore Géricault) à traiter, au même titre que la mythologie ou les épisodes de l’Antiquité, d’événements contemporains à travers le genre noble de la peinture d’histoire.
Romantique, Delacroix l’est par sa palette, mais aussi par son goût pour le mouvement, l’arabesque, les compositions non symétriques. Dans ses œuvres, l’artiste n’hésite pas exprimer des opinions politiques. Il est aussi l’un des grands noms de l’orientalisme qui traverse tout le XIXe siècle. On doit à Delacroix quelques-unes des plus grandes pages de la peinture française de cette époque.
Un doute subsiste sur la paternité d’Eugène Delacroix. Il pourrait avoir pour géniteur Talleyrand, mais rien ne prouve sérieusement cette hypothèse. Officiellement, son père fut le secrétaire de Turgot, puis ministre de Napoléon. Né dans un milieu favorisé, le jeune garçon reçoit une excellente éducation. Il fait ses classes artistiques dans l’atelier du peintre néoclassique Pierre-Narcisse Guérin où il fait la connaissance de Théodore Géricault avec qui il se lie d’amitié. Delacroix nourrit une vive admiration pour son aîné de sept ans, auteur du Radeau de la Méduse (1819), dont la mort précoce, en 1824, le laisse désemparé.
Delacroix débute au Salon de 1822 en exposant La Barque de Dante, un sujet qui révèle son goût pour la littérature de la Renaissance. L’artiste s’écarte des modèles néoclassiques. Il trouve son inspiration auprès de Michel-Ange et de Rubens, travaille le clair-obscur, cherche à exalter une dramaturgie nouvelle.
Dans les années 1820–1830, Delacroix enchaîne les succès au Salon, dont certains sont sujets à commentaires et scandales : Les Massacres de Scio (1824), La Mort de Sardanapale (1827), La Liberté guidant le peuple (1831)… Ces œuvres, sous le couvert de l’orientalisme ou de la référence littéraire, traitent de sujets en prise avec la politique contemporaine. Delacroix affirme notamment son soutien à la cause grecque, célèbre la révolution des Trois Glorieuses. Il représente la fougue romantique face à la culture néoclassique dont Ingres est le dernier représentant. Dans les années 1840, Charles Baudelaire conçoit une véritable passion pour l’art de Delacroix.
Une grande partie de sa vie, Delacroix a tenu un journal de bord. Ces écrits apportent de nombreux renseignements sur ses relations et ses amitiés. Delacroix y rapporte ses impressions, mais aussi de nombreuses réflexions sur l’art des couleurs.
En 1832, Delacroix effectue un voyage au Maroc qui marque un tournant dans sa vision de l’Orient. Son approche est moins fantasmagorique et livresque que par le passé, il approche les mœurs et coutumes du monde oriental avec plus de réalisme et constitue des carnets d’aquarelles. L’Orient lui évoque une Antiquité retrouvée.
Une photographie d’Eugène Delacroix prise par Nadar en 1858 révèle la personnalité du peintre : prestance d’aristocrate, le visage léonin, le regard légèrement hautain. Delacroix pose pour l’histoire. Il est à cette époque le plus grand artiste français.
Les vingt dernières années de sa vie sont dominées par de grandes commandes décoratives pour le palais Bourbon (actuelle Assemblée nationale), le Sénat ou encore pour l’église Saint-Sulpice, à Paris. Il y réalise deux décors pariétaux dont la célèbre Lutte de Jacob avec l’ange. Depuis 1842, le peintre est malade. Il souffre de troubles pulmonaires et décède en 1863, dans son appartement du 6 de la rue de Fürstenberg (où se situe aujourd’hui le musée qui lui est consacré), l’année où Manet expose au Salon des refusés son fameux Déjeuner sur l’herbe.
Delacroix et la beauté masculine
« Je regarde avec passion et sans fatigue ces photographies d’après des hommes nus, ce poème admirable, ce corps humain sur lequel j’apprends à lire et dont la vue m’en dit plus que les inventions des écrivassiers. » Ces quelques mots tirés de son Journal (5 octobre 1855) éclairent le rapport du peintre Eugène Delacroix à la photographie.
Les photos ci-dessous ont été prises par Eugène Durieu sur les indications du peintre lors de deux séances de poses successives en juin 1854. Elles ont été rassemblées dans un album qui est déposé à la BNF.
Le modèle que l'on retrouve dans toutes les photos est un homme musclé, qui visiblement, ne laissait pas Delacroix insensible (Delacroix est resté célibataire. On connaît fort peu de choses sur sa vie sentimentale).
Ce qui est surprenant dans ces photographies est que l'idéal de la beauté masculine s'éloigne significativement des standards modernes, même quand cela concerne un homme musclé. La raison principale est probablement que cet homme s'est musclé grâce à un travail de force quotidien (fort des halles, manutentionnaire, homme de peine) et non pas par une sculpture étudiée de son corps comme aujourd'hui.